Prix Nobel de Chimie 2021
La Chimie Verte
Catalyse asymétrique
La définition même du concept de catalyse asymétrique tient une place prépondérante dans ce développement. Bien que Berzelius utilise dès 1835 le mot « catalyse », il faut attendre le début du vingtième siècle pour que Paul Sabatier lui donne son sens actuel. Il perçoit la catalyse comme un mécanisme dans lequel des composés sont intimement impliqués dans un processus d'accélération de la réaction chimique sans être eux-mêmes consommés au cours de cette réaction. Le concept de synthèse asymétrique, stoechiométrique ou catalytique, apparaît à la même période. Marckwald en donne en 1904 une définition, complétée dans les années 70 par Morrison et Mosher, qui est toujours valable aujourd'hui : dans une synthèse asymétrique de nouveaux centres stéréogéniques sont créés d'une manière contrôlée.
L'importance de la préparation de composés énantiomériquement purs est évidente. Elle tient d'une part au fait que la majorité des systèmes biologiques reconnaissent deux énantiomères d'un substrat comme deux substances différentes. D'autre part, le développement d'outils efficaces pour la synthèse asymétrique est bien évidemment lié à des considérations économiques relatives au coût de production d'un énantiomère inutile. En conséquence, la synthèse asymétrique a été stimulée par les besoins de l'industrie.
Parmi les nombreuses méthodes d'obtention de composés énantiopurs (résolution optique via des dérivés diastéréomériques, séparation par chromatographie sur support chiral, résolution enzymatique, résolution cinétique chimique, synthèse asymétrique classique, ...) la catalyse asymétrique possède de loin le plus fort potentiel. En effet elle offre un moyen puissant et économique de multiplication de la chiralité, une molécule de catalyseur chiral pouvant dans l'absolu engendrer des produits chiraux sans aucune limite.
La catalyse homogène possède des avantages indéniables sur d'autres modes de catalyse (hétérogène, enzymatique, organique). Notamment, la découverte de mécanismes non-triviaux impliquant des espèces organométalliques peut parfois aboutir à certaines réactions inaccessibles à la synthèse organique classique.
Le premier exemple de réaction asymétrique catalysée par un complexe organométallique chiral est à cet égard très représentatif de la démarche a adopter lors du développement pas à pas de systèmes catalytiques performants. En 1966, Nozaki et Noyori montrent qu'un complexe chiral salen-cuivre peut catalyser de façon énantiosélective la cyclopropanation de styrène en présence de diazoacétate d'éthyle.
En 1975, Aratani atteint un haut niveau d'énantiosélectivité avec un complexe de cuivre dérivé. Depuis ces travaux fondateurs ce processus d'amélioration pas à pas des systèmes catalytiques représente toujours l'idée directrice des groupes de recherche développant de nouveaux catalyseurs chiraux.
Durant les trois dernières décennies la catalyse asymétrique a rapidement quitté le stade de simple curiosité académique pour devenir dans certains cas un moyen de production industrielle à très large échelle. Des complexes métalliques chiraux facilement accessibles, robustes et aux structures bien définies sont désormais capables de sélectionner précisément des atomes, des groupes ou des faces énantiotopiques de molécules achirales ou bien de sélectionner des énantiomères.
Il existe ainsi toute une gamme de réactions asymétriques catalysées extrêmement efficaces : réactions d'hydrogénations, d'hydroformylations, d'époxydations et d'ouvertures d'époxydes, de cyclopropanations, réactions de type aldol ou de cycloadditions (Diels-Alder, 1,3-dipolaires, ...). Du fait de son efficacité synthétique qui rivalise ou même parfois dépasse celle d'enzymes naturelles ou de microorganismes, la catalyse énantiosélective à l'aide de complexes organométalliques rend possible la synthèse d'une large gamme de composés chiraux naturels ou non. La synthèse totale de la (-)-salicylihalamide par Fürstner représente un exemple frappant de la valeur des réactions de formation de liaisons C-C et C-X catalysées par des métaux de transition.
Résumé de la synthèse totale de la (-)-salicylihalamide
Des applications industrielles de la catalyse asymétrique telles que les procédés développés par Novartis pour la synthèse du (S)-metolachlor, par Takasago pour la synthèse du ()menthol, ou encore par Arco pour la synthèse des (-)- et (+)-glycidol illustrent bien la puissance de cette chimie.